Instagram visé par la plainte de quarante-deux Etats américains : une procédure fragile ?


Quarante-deux Etats ont déposé, mardi 24 octobre, une plainte collective contre le groupe Meta, visant particulièrement Instagram et son utilisation par les plus jeunes.

Deux ans d’enquête, l’alliance de quarante-deux Etats américains et un texte de près de 230 pages : le groupe Meta, et plus particulièrement son réseau social Instagram, est visé depuis le mardi 24 octobre par une plainte d’ampleur aux Etats-Unis. Les ministères publics de ces Etats, tant démocrates que républicains, accusent l’entreprise d’avoir « dissimulé la façon dont ces plates-formes exploitent et manipulent ses consommateurs les plus vulnérables » et « négligé les dommages considérables » causés à la « santé mentale et physique des jeunes de notre pays ».

En pratique, la plainte s’appuie sur trois éléments principaux : les documents rendus publics par la lanceuse d’alerte Frances Haugen, connus sous le nom de « Facebook Files », qui contenaient notamment des études internes de Meta sur les liens entre mal-être adolescent et usage d’Instagram ; les déclarations publiques de hauts cadres de l’entreprise affirmant qu’ils ne cherchent pas à attirer les enfants vers ses plates-formes, que les procureurs estiment mensongères ; et la mise en place de certaines fonctionnalités – comme la navigation infinie ou les « likes » – jugées addictives et dangereuses pour les utilisateurs les plus jeunes.

Une étrange litanie de reproches peu ou pas étayés

Mais à la lecture, la plainte laisse une étrange impression d’inachevé. D’abord parce que presque la moitié du document a été caviardée avant publication : des pages entières, contenant a priori des éléments de preuve à l’appui de l’accusation, n’ont pas été rendus publics. Il est donc difficile de se faire une idée précise de la solidité du dossier monté par les procureurs américains, mais la partie lisible contient une étrange litanie de reproches peu ou pas étayés, et des généralisations qui ne devraient pas particulièrement inquiéter les avocats de Meta.

Plusieurs dizaines de pages sont ainsi consacrées à l’existence de fonctionnalités comme les « likes », les notifications, ou la recommandation de contenus. Des outils légitimement critiquables, clairement conçus pour augmenter la « rétention » et le temps passés par les utilisateurs sur Instagram ou Facebook, mais qui sont des standards de l’industrie et ne sont, jusqu’à démonstration du contraire, pas illégaux. La plainte constate par ailleurs une corrélation, établie par de multiples études portant sur les adolescents, entre surinvestissement dans les réseaux sociaux et souffrance psychologique. Mais sans fournir de preuves, en tout cas dans la version rendue publique, permettant d’établir un lien de causalité directe. En se concentrant sur des accusations larges, la plainte minore presque certains des risques les mieux établis pour les adolescents sur les réseaux sociaux, comme le harcèlement.

Dans certains cas, les arguments présentés laissent songeur. La plainte présente ainsi la fonction « comptes multiples » d’Instagram comme ayant pour but de « multiplier le nombre de flux d’images en compétition pour l’attention des jeunes utilisateurs » – alors qu’elle sert surtout aux adolescents à gérer un compte « public » et un compte « privé » (souvent dissimulé à leurs parents). Plus loin, le document présente, comme preuve que Meta connaît et encourage la présence d’enfants sur ses plates-formes, des publicités pour des services payants de streaming de dessins animés, sans envisager que ces publicités puissent tout à fait s’adresser aux parents.

La plainte soulève toutefois des questions légitimes sur la tension entre le but commercial de l’entreprise, qui est de maximiser le temps passé sur ses applications, et l’impact que cela peut avoir sur les utilisateurs les plus jeunes. Mais elle souligne surtout en creux l’indécision du Parlement américain qui, malgré de multiples auditions très critiques des responsables de tous les grands réseaux sociaux ces dernières années, n’a pas pu se mettre d’accord sur une nouvelle législation pour les encadrer. En l’état, il est loin d’être certain qu’emprunter la voie judiciaire pour dénoncer des « likes » ou des « flux d’actualité » infinis suffise ; l’Union européenne, elle, a fait le choix d’adopter des textes de lois clairs, à défaut d’être parfaits.



Source
Catégorie article Politique

Ajouter un commentaire

Commentaires

Aucun commentaire n'a été posté pour l'instant.